Séance
5 : Etude d'une nouvelle intégrale : Pierrot de Maupassant
Objectifs
:
- Rechercher les informations dans un texte – Etudier une nouvelle
intégrale – Savoir rédiger un texte d'invention
Pierrot
– Guy de Maupassant - 1882
La
nouvelle Pierrot
paraît
dans le journal Le
Gaulois le
9 octobre 1882. Puis, elle est éditée en recueil,
intégrant les Contes de la bécasse, en 1883. Lisez attentivement
cette nouvelle de Maupassant plusieurs fois. Repérez les
différents personnages, les lieux de l’action et les principales
péripéties.
Mme
Lefèvre était une dame de campagne, une veuve, une de ces
demi-paysannes à rubans et à chapeaux à falbalas, de ces personnes
qui parlent avec des cuirs, prennent en public des airs grandioses,
et cachent une âme de brute prétentieuse sous des dehors comiques
et chamarrés, comme elles dissimulent leurs grosses mains rouges
sous des gants de soie écrue.
Elle
avait pour servante une brave campagnarde toute simple, nommée Rose.
Les
deux femmes habitaient une petite maison à volets verts, le long
d’une route, en Normandie, au centre du pays de Caux.
Comme
elles possédaient, devant l’habitation, un étroit jardin, elles
cultivaient quelques légumes.
Or,
une nuit, on lui vola une douzaine d’oignons.
Dès
que Rose s’aperçut du larcin, elle courut prévenir Madame, qui
descendit en jupe de laine. Ce fut une désolation et une terreur. On
avait volé, volé Mme Lefèvre !
Donc,
on volait dans le pays, puis on pouvait revenir.
Et
les deux femmes effarées contemplaient les traces de pas,
bavardaient, supposaient des choses : «Tenez, ils ont passé par là.
Ils ont mis leurs pieds sur le mur ; ils ont sauté dans la
plate-bande».
Et
elles s’épouvantaient pour l’avenir. Comment dormir tranquilles
maintenant !
Le
bruit du vol se répandit. Les voisins arrivèrent, constatèrent,
discutèrent à leur tour ; et les deux femmes expliquaient à chaque
nouveau venu leurs observations et leurs idées.
Un
fermier d’à côté leur offrit ce conseil : «Vous devriez avoir
un chien».C’était
vrai, cela ; elles devraient avoir un chien, quand ce ne serait que
pour donner l’éveil.
Pas un gros chien, Seigneur ! Que feraient-elles d’un gros chien !
Il les ruinerait en nourriture. Mais un petit chien (en Normandie, on
prononce quin),
un petit freluquet de quin qui
jappe.
Dès
que tout le monde fut parti, Mme Lefèvre discuta longtemps cette
idée de chien. Elle faisait, après réflexion, mille objections,
terrifiée par l’image d’une jatte pleine de pâtée ; car elle
était de cette race parcimonieuse de dames campagnardes qui portent
toujours des centimes dans leur poche pour faire l’aumône
ostensiblement aux pauvres des chemins, et donner aux quêtes du
dimanche.B
Rose,
qui aimait les bêtes, apporta ses raisons et les défendit avec
astuce. Donc il fut décidé qu’on aurait un chien, un tout petit
chien. On se mit à sa recherche, mais on n’en trouvait que des
grands, des avaleurs de soupe à faire frémir. L’épicier de
Rolleville en avait bien un, tout petit ; mais il exigeait qu’on le
lui payât deux francs, pour couvrir ses frais d’élevage. Mme
Lefèvre déclara qu’elle voulait bien nourrir un «quin», mais
qu’elle n’en achèterait pas.
Or,
le boulanger, qui savait les événements, apporta, un matin, dans sa
voiture, un étrange petit animal tout jaune, presque sans pattes,
avec un corps de crocodile, une tête de renard et une queue en
trompette, un vrai panache, grand comme tout le reste de sa personne.
Un client cherchait à s’en défaire. Mme Lefèvre trouva fort beau
ce roquet immonde, qui ne coûtait rien. Rose l’embrassa, puis
demanda comment on le nommait. Leboulanger
répondit : «Pierrot».
Il
fut installé dans une vieille caisse à savon et on lui offrit
d’abord de l’eau à boire. Il but. On lui présenta ensuite un
morceau de pain. Il mangea.
Mme
Lefèvre inquiète, eut une idée : «Quand il sera bien accoutumé à
la maison, on le laissera libre. Il trouvera à manger en rôdant par
le pays».
On
le laissa libre, en effet, ce qui ne l’empêcha point d’être
affamé. Il ne jappait d’ailleurs que pour réclamer sa pitance ;
mais, dans ce cas, il jappait avec acharnement.
Tout
le monde pouvait entrer dans le jardin. Pierrot allait caresser
chaque nouveau venu, et demeurait absolument muet.
Mme
Lefèvre cependant s’était accoutumée à cette bête. Elle en
arrivait même à l’aimer, et à lui donner de sa main, de temps en
temps, des bouchées de pain trempées dans la sauce de son fricot.
Mais elle n’avait nullement songé à l’impôt, et quand on lui
réclama huit francs, - huit francs, Madame ! - pour ce freluquet de
quin qui ne jappait seulement
point,
elle faillit s’évanouir de saisissement.
Il
fut immédiatement décidé qu’on se débarrasserait de Pierrot.
Personne n’en voulut. Tous les habitants le refusèrent à dix
lieues aux environs. Alors on se résolut, faute d’autre moyen, à
lui faire «piquer du mas». «Piquer du mas», c’est «manger de
la marne». On fait piquer du mas à tous les chiens dont on veut se
débarrasser.
Au
milieu d’une vaste plaine, on aperçoit une espèce de hutte, ou
plutôt un tout petit toit de chaume, posé sur le sol. C’est
l’entrée de la marnière. Un grand puits tout droit s’enfonce
jusqu’à vingt mètres sous terre, pour aboutir à une série de
longues galeries de mines.
On
descend une fois par an dans cette carrière, à l’époque où l’on
marne les terres. Tout le reste du temps elle sert de cimetière aux
chiens condamnés ; et souvent, quand on passe auprès de l’orifice,
des hurlements plaintifs, des aboiements furieux ou désespérés,
des appels lamentables montent jusqu’à vous.
Les
chiens des chasseurs et des bergers s’enfuient avec épouvante des
abords de ce trou gémissant ; et, quand on se penche au-dessus, il
sort une abominable odeur de pourriture.
Des
drames affreux s’y accomplissent dans l’ombre.
Quand
une bête agonise depuis dix à douze jours dans le fond, nourrie par
les restes immondes de ses devanciers, un nouvel animal, plus
gros,plus
vigoureux certainement, est précipité tout à coup. Ils sont là,
seuls, affamés, les yeux luisants. Ils se
guettent, se suivent, hésitent, anxieux.
Mais
la faim les presse ; ils s’attaquent, luttent longtemps, acharnés
; et le plus fort mange le plus faible, le dévore vivant.
Quand
il fut décidé qu’on ferait «piquer du mas» à Pierrot, on
s’enquit d’un exécuteur. Le cantonnier qui binait la route
demanda dix sous pour la course. Cela parut follement exagéré à
Mme Lefèvre. Le goujat du voisin
se
contentait de cinq sous ; c’était trop encore ; et, Rose ayant
fait observer qu’il valait mieux qu’elles le portassent
elles-mêmes, parce qu’ainsi il ne serait pas brutalisé en route
et averti de son sort, il fut résolu qu’elles iraient toutes les
deux à la nuit tombante.
On
lui offrit, ce soir-là, une bonne soupe avec un doigt de beurre. Il
l’avala jusqu’à la dernière goutte ; et, comme il remuait la
queue de contentement, Rose le prit dans son tablier.
Elles
allaient à grands pas, comme des maraudeuses, à travers la plaine.
Bientôt
elles aperçurent la marnière et l’atteignirent ; Mme Lefèvre se
pencha pour écouter si aucune bête ne gémissait. - Non - il n’y
en avait pas ; Pierrot serait seul. Alors Rose, qui pleurait,
l’embrassa, puis le lança dans le trou ; et elles se penchèrent
toutes deux, l’oreille tendue.
Elles
entendirent d’abord un bruit sourd ; puis la plainte aiguë,
déchirante, d’une bête blessée, puis une succession de petits
cris de douleur, puis des appels désespérés, des supplications de
chien qui implorait, la tête levée vers l’ouverture.
Il
jappait, oh ! il jappait !
Elles
furent saisies de remords, d’épouvante, d’une peur folle et
inexplicable ; et elles se sauvèrent en courant. Et, comme Rose
allait plus vite, Mme Lefèvre criait : «Attendez-moi, Rose,
attendez-moi !».
Leur
nuit fut hantée de cauchemars épouvantables. Mme Lefèvre rêva
qu’elle s’asseyait à table pour manger la soupe, mais, quand
elle découvrait la soupière, Pierrot était dedans. Il s’élançait
et la mordait au nez.
Elle
se réveilla et crut l’entendre japper encore. Elle écouta ; elle
s’était trompée.
Elle
s’endormit de nouveau et se trouva sur une grande route, une route
interminable, qu’elle suivait ; Tout à coup, au milieu du chemin,
elle aperçut un panier, un grand panier de fermier, abandonné ; et
ce panier lui faisait peur.
Elle
finissait cependant par l’ouvrir, et Pierrot, blotti dedans, lui
saisissait la main, ne la lâchait plus ; et elle se sauvait éperdue,
portant ainsi au bout du bras le chien suspendu, la gueule serrée.
Au
petit jour, elle se leva, presque folle, et courut à la marnière.
Il jappait ; il jappait encore, il avait jappé toute la nuit. Elle
se mit à sangloter et l’appela avec mille petits noms caressants.
Il répondit avec toutes les inflexions tendres de sa voix de chien.
Alors
elle voulut le revoir, se promettant de le rendre heureux
jusqu’àmort.
Elle
courut chez le puisatier chargé de l’extraction de la marne, et
elle lui raconta son cas. L’homme écoutait sans rien dire. Quand
elle eut fini, il prononça : «Vous voulez votre quin ? Ce sera
quatre francs».
Elle
eut un sursaut ; toute sa douleur s’envola du coup.
«Quatre
francs ! vous vous en feriez mourir ! quatre francs !».
Il
répondit : «Vous croyez que j’vas apporter mes cordes, mes
manivelles, et monter tout ça, et m’en aller là-bas avec mon
garçon et m’faire mordre encore par votre maudit quin, pour
l’plaisir de vous le r’donner ? Fallait pas l’jeter.»
Elle
s’en alla, indignée. - Quatre francs ! Aussitôt rentrée, elle
appela Rose et lui dit les prétentions du puisatier. Rose, toujours
résignée, répétait : «Quatre francs ! c’est de l’argent,
Madame».
Puis,
elle ajouta : «Si on lui jetait à manger, à ce pauvre quin, pour
qu’il ne meure pas comme ça ?».
Mme
Lefèvre approuva, toute joyeuse ; et les voilà reparties, avec un
gros morceau de pain beurré.
Elles
le coupèrent par bouchées qu’elles lançaient l’une après
l’autre, parlant tour à tour à Pierrot. Et sitôt que le chien
avait achevé un morceau, il jappait pour réclamer le suivant.
Elles
revinrent le soir, puis le lendemain, tous les jours. Mais elles ne
faisaient plus qu’un voyage.
Or,
un matin, au moment de laisser tomber la première bouchée, elles
entendirent tout à coup un aboiement formidable dans le puits. Ils
étaient deux ! on avait précipité un autre chien, un gros !
Rose
cria : «Pierrot !» Et Pierrot jappa, jappa. Alors on se mit à
jeter la nourriture ; mais, chaque fois elles distinguaient
parfaitement une bousculade terrible, puis les cris plaintifs de
Pierrot mordu par son compagnon, qui mangeait tout, étant le plus
fort.
Elles
avaient beau spécifier : «C’est pour toi, Pierrot !» Pierrot,
évidemment, n’avait rien.
Les
deux femmes, interdites, se regardaient ; et Mme Lefèvre prononça
d’un ton aigre : «Je ne peux pourtant pas nourrir tous les chiens
qu’on jettera là dedans. Il faut y renoncer».
Et,
suffoquée à l’idée de tous ces chiens vivants à ses dépens,
elle s’en alla,
emportant même ce qui restait du pain qu’elle se mit à manger en
marchant.
Rose
la suivit en s’essuyant les yeux du coin de son tablier bleu.
Répondez
aux questions suivantes sur une feuille de cours :
1
Quelle est la part des dialogues dans la nouvelle de Maupassant ?
Dans quelle mesure participent-ils du réalisme du récit ?
2
Quels sont les différents décors décrits dans la nouvelle ? Sur
quels aspects Maupassant insiste-t-il ?
3
Que dénonce cette nouvelle ? En quoi son réalisme a-t-il une portée
satirique ?
Puis
reportez-vous à la fiche "le sujet d'invention", que vous
lirez attentivement avant de récopier sur votre cours le sujet
suivant :
À
la fin de la nouvelle de Maupassant, Rose pleure l’abandon de
Pierrot.
Vous
inventerez la suite du récit en respectant les indications suivantes
: Rose, pétrie de remords, retourne chercher Pierrot, la nuit, dans
la marinière. Vous décrirez à la fois les sentiments du
personnage, et le décor nocturne. Vous veillerez aussi à respecter
le réalisme de la nouvelle de Maupassant,
tout en conférant à votre récit quelques touches fantastiques.
A partir du texte que
vous avez recopié:
Etape
1 : Soulignez
en rouge les mots clés : ceux qui vous indiquent quoi faire.
Etape
2 :
Interrogez-vous sur le texte : A quel personne doit-il être écrit ?
A quel temps ? De quoi doit-il parler ? Qu'allez-vous mettre en
introduction ? Quelles seront les étapes du dévelopement ?
Qu'allez-vous mettre dans la conclusion ?
En
prennant appui sur la fiche technique "le sujet d'invention",
vous rédigerez le devoir d'invention que vous avez recopié.
La
séance 6 sera une évaluation : sujet d'invention. Revoyez bien TOUT
votre cours !
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