Il peut vous éclairer sur l'objet d'étude "Du côté de l'imaginaire"
Il s'agit d'un mémoire sur le film NEVERLAND, un travail de recherche qui ne sera pas nécessairement adapté à une visée pédagogique, mais qui peut être une aide précieuse pour la compréhension du film et de l’œuvre cependant.
Neverland dossier universitaire
Voici
l'étude détaillée du film NEVERLAND. Ce dossier contient mes propres
recherches et n'est donc pas, par conséquent, libre de droits.
Introduction :
Le film Neverland
réalisé en 2005 par Marc Forster, retrace la vie de l'écrivain a succès
qu'est James M. Barrie, ou plutôt un instant de sa vie, le plus
fondamental pour l'histoire de la littérature, celui de la création de
sa plus belle oeuvre, Peter Pan,
depuis le premier germe de l'idée à son accomplissement dans le monde
empirique. En effet, la vie de J.M. Barrie est étrangement proche de
celle de Peter Pan, l'auteur aussi refusant de grandir et à son tour se
retrouvant en charge de cinq garçons perdus. Ce film a été réalisé à
partir de la pièce de théâtre L'homme qui était Peter Pan d'Allan
Knee. Le réalisateur de ce film a du se confronter à une difficulté
récurrente dans les films retraçant la vie d'auteur, qui est comment
montrer au cinéma cet acte solitaire, immobile, et qui ne se déroule que
dans l'esprit de l'auteur, qu'est l'écriture. En plus de cette
difficulté, s'est ajoutée celle de rendre compte de la vie d'un auteur
qui a existé, tout en se démarquant du film biographique ordinaire.
Problématique :
Comment le film Neverland retrace-t-il la façon dont l'auteur s'est inspiré du réel pour créer la pièce de théâtrePeter Pan, tout en se démarquant du genre biographique?
Plan:
Dans
une partie nous verrons comment se forme l'idée de l'écriture chez
l'auteur, comment est représentée la façon dont il s'inspire de la
réalité dans le film. Puis nous verrons l'acte d'écriture en lui-même,
comment montrer à l'écran un acte silencieux qui ne se déroule que dans
l'esprit de celui qui écrit, et enfin, dans une troisième partie, le
personnage de l'écrivain en lui-même, la façon dont il est représenté
dans le film comme héros tragique.
I – Avant l'acte d'écriture: l'imaginaire:
A – L'homme qui était Peter Pan
B . Son inspiration montrée
II– L’homme reconnu par ses écrits :
A – Les scènes où l’écrivain écrit
B – La formation d’un jeune écrivain
III– L’écrivain comme héros :
A – L’insistance sur le caractère héroïque
B – L’écriture sacrificielle
I– Avant l'acte d'écriture: l'imaginaire
Tout
acte d'écriture procède d'abord d'un acte purement imaginatif. Le film
doit donc retracer la façon dont le personnage d'écrivain puise dans son
esprit et dans sa vie de tous les jours pour trouver l'inspiration.
A – L'homme qui était Peter Pan:
Le
film est avant tout une biographie filmée de l'auteur J.M.Barrie.
Puisqu'elle ne retrace qu'une partie de son existence, il est nécessaire
de situer cette vie dans son contexte. L'enfance de l'auteur est
importante, car son enfance traumatisée a considérablement joué sur sa
personnalité et ses inspirations.
«
James Barrie naît et grandit dans une famille nombreuse et heureuse, à
Kirriemuuir, dans le Nord de l’Ecosse ; son père, tisserand, jouit de
revenus confortables, et sa mère encourage chez ses enfants toute forme
d’ambition intellectuelle. Mais à l’âge de six ans, Jamie perd son frère
David, treize ans, le plus doué de tous, qui fait une chute mortelle en
patinant sur la glace. La mère, en état de choc et de profond
désespoir, se retire dans la pénombre de sa chambre, refuse de voir
quiconque et néglige le reste de la famille. Un jour, alors que Barrie
sanglote, solitaire, sur une marche de l’escalier, l’une de ses aînées
lui demande d’aller tenter de consoler leur mère.[…] Ainsi commence la
mission de Barrie : consoler sa mère en devenant si parfaitement
semblable à David qu’elle ne percevrait plus la différence. Il se met à
porter les vêtements de son frère, imite sa manière de siffler et est
poursuivi par l’idée de ne jamais grandir. »1
L'enfant qu'était
J.M. Barrie a, pour sauver la raison de sa mère, endossé le costume de
son frère décédé, et s'est fait passer pour lui. Cette expérience
traumatisante a sans doute joué sur la psychologie de l'auteur, mais
surtout sur ses créations littéraires et artistiques. En effet, on note
dans la quasi totalité de ses oeuvres une obsession récurrente pour
l'enfance et son univers imaginaire, et pour le personnage de la mère.
Les héros de ses pièces ou de ses romans sont incapables de s'assumer en
tant qu'adultes, incapables d'assumer une vie de couple. Etrangement,
ce dédoublement schizophrène forcé semble avoir eu un impact non
seulement sur le profil psychologique de l'auteur, mais aussi sur son
physique. L'auteur a gardé jusque dans l'âge adulte un visage pré pubère
et une petite taille.
Cette enfance est rapidement évoquée dans le film par l'acteur interprétant l'auteur.
« Célèbre
dans le monde des lettres, il est néanmoins sur le plan affectif un
raté qui va chercher le bonheur au sein de la famille d’un autre, qui
est anormalement attaché à sa mère et incapable d’entretenir avec sa
femme des rapports satisfaisants et d’avoir des enfants. »2
L'auteur, comme le
personnage du film, à force de chercher à vouloir être quelqu'un
d'autre, finit par vivre totalement en décalage avec la réalité. Cette
quête d'une identité autre est dénoncée dans le film, lorsque Barrie
s'apprête à montrer un spectacle de dresseur d'ours avec son chien
Portos, et à convaincre le petit garçon qui le regarde, Peter, dont il
s'inspirera dans le film pour créer Peter Pan:
« Peter – C'est bête c'est rien qu'un chien.
Barrie – Rien qu'un
chien? Rien que? Portos rêve d'être un ours es-toi tu veux lui détruire
ses rêves en le traitant de rien qu'un chien? Quelle horrible expression
destructrice. »3
Est résumé dans
cette scène toute la psychologie de l'auteur enfant pensant qu'il ne se
laisse pas berner par ce qu'il voit, la réalité.
p.145 « Des années
plus tard, Barrie comprend que Peter est à son image : étranger qui de
l’extérieur regarde vivre les Llewelyn Davies avec un pincement de cœur.
En 1922, à l’âge de soixante-deux ans, il note : « C’est comme si, bien
longtemps après avoir écrit Peter Pan, j’en comprenais enfin le sens profond : tentative désespérée, mais vaine, de grandir. »4
Dans
Peter Pan, c'est sa propre histoire, son propre vécu que raconte
l'auteur J.M.Barrie. Cet enfant qui ne veut pas grandir, qui ne veut pas
connaître l'amour autrement que par jeu, est une métaphore de l'état
dans lequel évolue Barrie. L'auteur se dévoile ainsi dans cette pièce,
et nous fait rendre compte de son témoignage, de sa biographie. Le film Neverland
semble tenir de la biographie. En effet, de nombreux détails
appartenant effectivement à la biographie de l'auteur sont présents,
notamment le criquet, sport qui fût cher à l'auteur, il fût même le
fondateur de l'équipe de criquet Allahkbar, qui regroupa de grands noms
de la littérature londonienne du début du XXième siècle. Le cricket est
un sport récurrent tout au long du film, il fait sa première apparition
dès la fin du premier chapitre. Cependant, malgré cette recherche de
détails et d'authenticité, le film prend certaines libertés sur bien des
points, notamment sur la taille de l'auteur, sur sa dévotion héroïque,
sur son charme enfin.
Dans
le film comme dans la réalité, Barrie était un homme-enfant. Cette
image est très largement renforcée dans le film, et l'auteur en devient
touchant. A un dîner mondain, il joue avec sa cuillère et fait rire les
enfants.
Cet
aspect d'homme-enfant est renforcé par son irresponsabilité. Il fait
voler les enfants au dessus de la scène (chap.10), mais l'un d'eux tombe
et se casse le bras. Cette irresponsabilité était effective dans le vie
de Barrie, il a effectivement laissé les enfant Davies voler autour de
la pièce alors qu'il avait fortement recommandé à l'actrice jouant Peter
Pan de prendre une assurance sur la vie parce que le mécanisme n'était
pas fiable.
«
L'auteur interrompt les répétitions pour permettre aux enfants Llewelyn
Davies de venir au théâtre et de voler autour de la scène. En fin de
compte, la première, prévue avant Noël, doit être retardée. »5
Lorsque
le petit garçon, Peter Llewelyn davies vient voir la pièce de théâtre
dont il est l'inspiration principale, les spectateurs autour de lui lui
demandent s'il est Peter Pan.
Dit -il en parlant de James Barrie.
B- Son inspiration montrée
«
Les prénoms des héros sont ceux des enfants Llewelyn Davies. [...] Nana
est le chien de Barrie et Mrs Darling, « une dame gracieuse, à l'âme
romanesque », n'est autre que Sylvia, la mère idéale, presque aussi
parfaite que celle de l'auteur. Mr. Darling n'est pas inspiré d'Arthur;
il représente l'image du père qui éveille en l'enfant un désir de
victoire. »7
Le film Neverland
est très inspiré de la réalité de l'auteur, malgré de nombreux écarts
scénaristiques. L'écrivain a effectivement très bien connu les Llewelyn
Davies, il a effectivement était accusé de pédophilie suite aux rapports
ambigus qu'il entretenait avec les petits garçons, qui était cinq, et
non quatre comme cela est montré dans le film. Son mariage infécond
était bien perdu lorsqu'il fréquentait de trop près les enfants Davies.
Les
noms des enfants Llewelyn Davies dans le film sont les mêmes que dan
sla réalité, ce sont ceux que Barrie a utilisé pour sa pièce. Peter est
Peter Pan, Georges et Michael sont les deux frères de Wendy, et Jack
sert au personnage de Jack Hook, le Capitaine Crochet.
« En
1901, durant les vacances passées avec les Llewelyn Davies, naît le
reste de l’histoire, au cours d’un jeu avec îles, pirates et Indiens
particulièrement enthousiaste que l’auteur invente pour les garçons et
auquel il s’adonne avec eux durant quelques six semaines (…). D’une île
il fait un lagon des mers du Sud où sont naufragés les garçons, il se
transforme lui-même en pirate, le Capitaine Swarthy, prêt à les
précipiter à la mer, et il déguise son chien en tigre en lui faisant
porter un masque de papier mâché. »8
A
la fin de la première scène, la tonalité onirique est donnée
immédiatement, puisque l'écrivain est montré, après l'échec de sa
dernière pièce, imaginant un orage se déchaînant sur une salle pleine
d'un public glacial. Dans la première scène du parc, où l'auteur observe
Mme Llewelyn Davies à travers un trou dans son journal, deux mères
passent avec des poussettes noires. Ces poussettes noires ne sont pas
sans rappeler la fameuse origine des garçons perdus, ce sont des bébés
tombés de leur poussette quand leur nourrice ne regardait pas. Puis,
l'écrivain est montré jouant avec les enfants dans le parc, il leur
donne un spectacle soit disant d'ours savant en faisant faire des tours à
son chien, mais la réalité disparaît et on se retrouve dans le petit
monde imaginaire de l'auteur, dans un vrai cirque, devant un costume
d'ours, entouré de clowns tristes aux allures Tim Burtoniennes, se
représentant devant un public peint. A la fin de cette scène, Barrie
secoue curieusement le grelot accroché autour du cou du chien Portos, ce qui nous fait penser à la fée clochette.
Ce
grelot se retrouvera scène 4 accroché à la queue d'un cerf-volant,
montrant bien clochette dans les airs. La queue du cerf-volant sert à
Wendy pour s'envoler, cet extrait de la pièce nous est montré dans le
film, appuyant ainsi le mélange entre ce que vit l'auteur et ce qu'il se
passe dans son oeuvre, la façon dont il s'inspire de la réalité pour
écrire.
La
deuxième scène onirique se situe après la première entrevue de Barrie
avec le directeur du théâtre, Frohman, qui était réellement le directeur
de théâtre de Barrie, et dont le personnage réel se rapproche beaucoup
de celui du film, un homme à l'humour franc et au sérieux d'un enfant
qui joue, qui dans la réalité a interprété le rôle du chien babysitter
Nana, et du crocodile, dans la pièce Peter Pan:
« Frohman - Ce qu'ils font, sur scène, comment ça s'appelle?
Barrie – Jouer?
Frohman – Jouer. »
Ce
dialogue introduit la scène suivante où Barrie est montré en train de
jouer avec les enfants Llewelyn Davies aux cow-boys et aux indiens, mais
cette scène est vue du regard de Barrie, elle paraît sortie tout droit
d'un mauvais western, alors qu'ils sont en réalité dans le jardin. De
plus, lorsque Peter parle avec l'un de ses frères, le frère qui parle a
derrière-lui le décor de western en arrière-plan, Peter, lui a le
jardin. Il n'arrive pas à renter dans le jeu. La mère explique plus tard
que depuis la mort de son père Peter ne joue plus (chap.3).
Suite
au dîner avec les Llewelyn-Davies, Barrie rentre dans sa chambre. Il
est de dos et nous la cache, mais par l'encadrure de la porte nous
découvrons un jardin où chantent les oiseaux. C'est ainsi que nous est
montré de façon cinématique l'évasion psychique de l'auteur enfermé dans
ses rêves.
La
mère de Sylvia, lorsque Barrie ramène Sylvia et les enfants, tient à la
main un cintre (Chap.4). Le visage de Barrie est montré fronçant les
sourcils, puis la caméra revient sur la grand-mère, et le cintre s'est
transformé en crochet.
« La grand-mère – Pas question qu'un de vous y échappe! »
Avec
ce crochet, elle fait mine d'étriper les enfants. Ses vêtements sont
devenus entièrement noirs. Nous sommes bien là dans l'esprit de Barrie,
qui transforme en esprit ce qu'il voit pour le faire correspondre à une
inspiration débouchant sur une écriture possible.
Lorsque
Barrie observe les enfants Davies sauter sur le lit, il les imagine
s'envolant par la fenêtre. Dans la scène précédente, Barrie a dit à
Sylvia:
« Barrie
– N'envoyez jamais se coucher les petits. Ils ont chaque fois un jour
de plus au réveil. Et puis en un rien de temps, ils sont adultes. »9
Cette phrase figure dans le roman Peter Pan. Sylvia
dit peu après que le père des enfants n'aurait jamais laissé entrer le
chien, il l'aurait d'abord attaché dans le jardin. C'est effectivement
ce que fait le père de Wendy avec Nana, la baby-sitter canine.
Lorsque
Barrie emmène Sylvia et les quatre garçons dans sa maison de campagne,
(chap.6) ils y jouent au pirate. Sont montrés comme pour les autres
scènes oniriques à la fois le monde réel et à la fois le monde qui n'a
d'existence que dans la tête de l'auteur. Ils sont sur un bateau de
pirate, les vagues imitent le système mécanique des vagues au théâtre.
Non seulement l'auteur voit la scène comme si elle était réelle, mais en
plus il l'imagine en représentation scénique. L'inspiration de ces jeux
vers le théâtre est alors clairement défini dans le film. Les tâches
administrées aux jeunes pirates dans le jeu sont les mêmes que celles
qu'ils devront accomplir dans la réalité pour faire le ménage dans la
maison.
Lorsque
les enfants attendent le diagnostique du docteur à propos de leur mère,
ils semblent tous plonger dans les livres (chap.7). C'est à cet instant
que Barrie décide d'inventer un nouveau jeu en lançant des pièces. Le
bruit et le scintillement des pièces montant au plafond rappelle les
fées du pays imaginaire.
La dernière scène onirique se déroule après que Barrie est donné une représentation privée de Peter Pan
pour Sylvia qui est malade. Le mur de la maison se soulève, et apparaît
le véritable pays imaginaire, qui n'est pas un décor de carton pâte
mais un véritable paysage peuplé d'étranges créatures. Lorsque Sylvia se
lève pour rejoindre ce pays imaginaire, il s'agit non seulement d'un
euphémisme de sa mort, mais encore de ce qui se passe dans l'esprit de
l'auteur qui, refusant d'admettre la disparition de Sylvia comme le
ferait un adulte, l'envoie dans son pays imaginaire comme le ferait un
enfant.
II– L’homme reconnu par ses écrits :
La
première piéce produite par Barrie dans le film au début n'a pas un
grand succès. Dans le hall du théâtre après la représentation, Barrie
passe inaperçu dans un froid brouhaha. La seconde pièce, Peter Pan,
elle, a un succès retentissant. Dans le même hall, les personnes que
l'on retrouve sont les mêmes mais l'ambiance a bien changé, et de
nombreuses personnes veulent parler à l'auteur. Ces scènes montrent bien
que sans le succès de ses pièces, l'auteur passerait inaperçu. L'homme,
James M. Barrie, n'est donc reconnu qu'à travers ses oeuvres dans le
film, de la même façon, le petit garçon qu'est Peter ne sera reconnu que
par son potentiel de futur écrivain.
A – Les scènes où l’écrivain écrit:
A
chaque fois qu'il est question de Barrie, le sujet de l'écriture est
mis en exergue. Ainsi, la première fois que Barrie rencontre Mme
Llewelyn Davies, c'est par sa réputation qu'elle le reconnaît:
« Barrie – James Barrie
L'auteur
est montré dans un parc, écrivant, assis sur un banc, seul, son chien
qui deviendra plus tard Nana, la baby-sitter de Wendy, à ses côtés.
(Chap.3). C'est à cet instant qu'arrive le petit garçon, Peter, comme si
Barrie était justement en train d'imaginer Peter Pan à ce moment-là.
Son acte d'écriture devient la réalité, il se reflète sur le monde. Même
si le spectateur ignore ce que l'écrivain est en train d'écrire, il
peut deviner que c'est l'esquisse de Peter Pan en voyant le petit garçon
arrivé à ce moment-là.
Après
la scène du cerf-volant, (chap.4), Barrie nous est montré à l'écart, en
train d'écrire. Nous venons de voir en caméra subjective l'envol de
Michael avec le cerf-volant, et le scintillement de la fée clochette
représenté par un grelot au bout de la queue du cerf-volant. Le petit
Peter en arrivant voit l'auteur écrire, et lui demande si c'est à propos
du cerf-volant. Ce dialogue fait référence à la scène du cerf-volant
dans Peter Pan où Wendy
s'accroche à la queue du cerf-volant pour décoller. Encore une fois, si
le spectateur ne sait pas ce que l'auteur écrit, il peut le deviner.
Lorsque
l'écrivain rentre chez lui après avoir raccompagné les enfants, sa
femme lui annonce qu'elle a déjà dîné. La première chose que Barrie lui
répond est:
Son
image est de nouveau associée à celle de l'écrivain, et non à celle de
l'homme dans sa vie privée. Cela se base sur le fait autobiographique
que Barrie négligeait effectivement sa vie privée d'adulte pour
l'écriture et pour l'enfance.
Ensuite,
Barrie est montré dans une pièce sombre, jouant seul aux échecs et
s'arrêtant pour prendre la plume. La plume grattant le papier est filmée
en gros plan, la musique derrière commence, une musique à la fois
douce, onirique et triste.
B – La formation d’un jeune écrivain:
Chaque
fois que Barrie est montré en train d'écrire, Peter n'est pas loin.
C'est même à deux reprises son entrée dans le champ de caméra qui nous
fait découvrir Barrie écrivant. Le petit Peter est le double de Barrie,
il est l'écrivain en devenir. Alors que Barrie, lui, vit dans ses rêves
comme un enfant, Peter, lui, est incapable de rêver comme un enfant
normal. Son intérêt pour l'activité d'écriture de Barrie va réveiller en
lui ses rêves d'enfant.
Dès
son arrivée dans le parc, Peter s'intéresse à ce qu'écrit Barrie. Ce
n'est que la seconde fois que nous le voyions, cependant son image est
aussitôt associée à celle d'un écrivain en devenir.
« Peter – Qu'est-ce que vous écrivez?
Barrie – Rien de bien important.
Peter – Moi, je ne sais jamais quoi écrire.
Barrie – Est-ce que tu as déjà essayé de tenir un journal?Est-ce que tu as déjà essayé d'écrire une pièce?
(L'enfant fait signe que non.)
Barrie – Comment le sais-tu, alors?
Peter
est l'enfant qui est toujours à l'écart, celui que les autres enfants
n'arrivent pas à inclure dans leur jeu parce que lui n'y croit pas, ne
s'y intéresse pas, n'arrive plus à rêver depuis la mort de son père.
Après
avoir joué au cerf-volant avec les quatre garçons et leur mère, on voit
Barrie écrivant, et Peter arrivant au loin. Aussitôt l'enfant
s'intéresse à ce qu'il écrit, et lui demande si le sujet traite du
cerf-volant.
« Peter – Qu'est-ce que tu écris maintenant?
Barrie – Oh, je prends des notes. Je ne sais jamais vraiment de quoi ça parle avant de les avoir relues plus tard.
Peter – Ca parle du cerf-volant?
Barrie – Mais pourquoi tu demandes ça?
Peter
– J'en sais rien. Si moi j'étais écrivain, je crois que je raconterais
tout ce qu'il s'est passé avec le cerf-volant aujourd'hui.
Barrie – Bien. Tu devrais le faire. C'est une fantastique idée ça. Pourquoi tu n'essaies pas?
Jack – J'espère que tu n'as pas une conversation trop sérieuse avec celui-la.
Plus tard, les enfants Davies jouent sur la scène du théâtre. On entend la voix de Peter en voix-off, Barrie lui répond.
« Peter – Ce sceptre est en bois.
Barrie – Oui, même pour les rêves on a un budget.
Peter – Non, je veux dire, tout le monde croit qu'il est en or, alors que c'est qu'un vieux morceau de bois.
Barrie – La fin justifie les moyens.
Peter
– Ce qu'on a fait, c'est qu'on a prit un vieux morceau de bois, et on
l'a transformé aux yeux du monde pour qu'il y voit le plus magnifique
des ors. »14
C'est
à cet instant que Barrie offre à Peter son premier carnet d'écrivain.
Barrie insiste réellement sur la formation de Peter en tant qu'écrivain,
c'est le garçon de qui il est le plus proche, et c'est le seul qu'il
forme à l'écriture, sans doute pour l'aider à retourner dans le monde
des rêves que le petit garçon a oublié.
« Barrie – Tous les grands auteurs commencent par une reliure en vieux cuir et un titre bien convenable. Ouvre le.
Peter
- « Le petit naufragé. Une évocation des terribles aventures des quatre
frères Davies. Fidèlement raconté par Peter Llewelyn Davies.
Barrie – Kipling se dévorerait l'oreille pour un titre pareil.
Peter – Je ne sais pas encore quoi écrire.
Barrie – N'importe quel sujet. Ecris sur ta famille. Ecris sur la baleine qui parle.
Peter – Quelle baleine?
Barrie
dira plus tard à Sylvia (chap.5) qu'il lui semble que Peter essaye de
grandir trop vite, et que peut-être cela est dû au fait que Peter pense
que les adultes ne souffrent pas autant que les enfants.
Alors
que tous les autres enfants imaginent être des pirates sur un bateau,
Peter, encore une fois, n'entre pas vraiment dans le jeu. (Chap.6) Cela
est démontré dans le film par un effet de changement de décor, lorsque
Barrie parle, l'arrière-plan montre un bateau de pirate sur une mer de
carton pâte, sous la pluie. Lorsque c'est Peter, ils sont dans le
jardin, et il fait beau. Alors que les trois autres garçons se trouvent
des noms de pirates, Peter, lui garde son prénom.
Lorsque
le jeune Peter présente pour la première fois une pièce de théâtre
qu'il a lui-même écrit, on peut considérer que c'est là l'aboutissement
de la formation que lui a donné Barrie
« Peter
– « La lamentable histoire de Lady Ursula. Une pièce en un acte de
Peter Llewelyn Davies. » C'est rien qu'un peu de bêtise en fait.
Barrie – Mais j'espère bien.
Peter – Ce que j'ai voulu c'est juste m'essayer à l'écriture, mais les autres ils font du bon travail, alors ça va. »16
Cependant
si c'est dans cette scène que le jeune Peter se construit en tant
qu'écrivain, son retour dans le monde de l'enfance n'est pas achevé. En
effet, après que la maladie de sa mère se soit déclenchée pendant la
représentation, le petit Peter réagit très violemment, il éprouve de la
colère envers les mensonges que les adultes lui racontent, ceux-ci ne le
considérant pas comme un des leurs.
Le mal que Peter a à ce construire en tant qu'enfant joue sur sa formation d'écrivain:
« Peter – Non! Tout ce que tu feras c'est m'apprendre à inventer des histoires idiotes et à prétendre qu'il n'arrivera rien! »18
C'est
à cet instant que Peter déchire le carnet que Barrie lui avait offert,
symbole de son refus d'apprendre l'écriture. Le livre sera recollé par
Sylvia, qui insiste pour que Peter aille voir la pièce de Barrie au lieu
de rester à la veillée. Elle contribue elle aussi à pousser son fils
vers l'écriture en disant à propos du livre qu'elle vient de recoller:
A
la toute fin du film, le dernier sujet e conversation entre Peter et
J.M. Barrie est encore l'écriture. Cette fois, Peter est réellement
devenu un écrivain:
« Peter
– Maman avait recollé bien toutes les pages. Et puis, j'ai vu la pièce
et j'ai commencé à écrire et j'ai jamais pu m'arrêter.
III– L’écrivain comme héros :
L'acte
d'écriture est montré dans le film comme quelque chose de terriblement
tragique, qui sépare l'écrivain de son entourage. Cela est représenté
par le divorce avec Marie, puis par la mort de Sylvia. L'écrivain
devient alors un héros tragique, dont la vie est offerte aux autres,
c'est à dire au public.
A – L’insistance sur le caractère héroïque :
« [Il] conserve
l’aspect d’un garçon pré pubères. De petite taille depuis l’enfance, il
ne dépasse pas un mètre cinquante-cinq. Il a une silhouette frêle et
juvénile, une voix aiguë, haut placée, et l’air très timide et très
inquiet : « Un mètre quatre-vingt « écrit-il à l’âge de soixante ans.
Si j’avais atteint cette taille, ma vie aurait été toute différente. Je
ne me serais pas embêté à noircir tant de papier. 21
« En 1910, Sylvia
meurt, laissant sa mère, ses frères et Barrie tuteurs conjoints de cinq
garçons âgés de sept à dix-sept ans, en précisant que les enfants ne
doivent pas être séparés. Il est évident que seul Barrie dispose du
temps et des moyens financiers nécessaires pour que ce voeu soit
respecté. »22
Il
semble que dans le film, le désir de venir en aide chez Barrie soit
plus fort que tout, y compris plus fort que toutes les convenances
sociales. Cependant dans la réalité, l'altruisme de l'auteur n'était pas
si exacerbé. Arthur Davies, le mari de Sylvia, était encore bien vivant
lorsque Barrie fréquentait avec assiduité les enfants. Il était la
cause de disputes entre Sylvia et son mari, ce dernier ne supportant pas
la présence de Barrie, et encore moins le fait qu'il s'inspire de ses
jeux avec ses enfants pour écrire des pièces. Cependant, il est vrai que
lorsque Arthur est mort d'un cancer de la mâchoire, Barrie s'est montré
présent, et lorsque Sylvia décède à son tour, il a prit en charge les
cinq garçons, effaçant même du testament le nom de leur gouvernante qui
devait se charger d'eux pour inscrire le sien à la place.
Pour la représentation de la pièce Peter Pan,
Barrie réserve vingt cinq places, disséminées partout dans le théâtre.
Ces places sont destinées aux enfants qui par leur rire, forceront le
succès de la pièce. Ces vingt-cinq places sont offertes à des orphelins.
Le caractère généreux du personnage est renforcé, et il passe ici pour
un héros.
A
la mort de Sylvia, la grand-mère apprend à Barrie que Sylvia a demandé
une double tutelle pour ses enfants dans son testament (Chap.13):
« La grand-mère – Vous, Monsieur Barrie, et moi-même.
Barrie – Et de cela qu'est-ce que vous en pensez?
La
grand-mère – Je respecterai la volonté de ma fille.(...) Mais si vous
ne vous sentez pas prêt à assumer cette responsabilité, je peux vous
assurer que je saurais m'occuper seule des garçons.
Ainsi,
il est sous-entendu que Barrie s'occupera de la garde des quatre
garçons Llewelyn Davies. Son image de héros est encore renforcée, et ses
actes précédents nous le font imaginer comme un futur bon père de
famille, attentif et héroïque. Cependant, étant donné l'irresponsabilité
dont il a fait preuve parfois dans le film, on peut se poser la
question de savoir si oui ou non, Barrie s'occupera correctement d'eux,
où s'il se perdra de nouveau dans l'écriture, les abandonnant comme il a
auparavant abandonné sa femme.
B – L’écriture sacrificielle:
« Le
jour de la première, Barrie, paniqué par la réponse à la question:
« Croyez-vous aux fées? Si vous y croyez, cria t il, frappez dans vos
mains », s'entend avec les musiciens pour qu'ils applaudissent si besoin
est. [...] Un public émerveillé, essentiellement adulte, tressaille
d'impatience et de bonheur dès la levée du rideau et applaudit si
bruyamment au moment où lui est posée la célèbre question concernant les
fées, que Nina Boucicault qui tient le rôle de Peter éclate en
sanglots. »24
Arthur,
le père des enfants, est atteint d'un cancer de la mâchoire. Dans le
film, il est déjà décédé au moment où Barrie entre dans la famille, ce
qui enlève l'esprit adultérin en partie, pour ne pas entacher l'image de
héros que l'auteur a à l'écran. De plus, qu'il soit déjà mort permet
dès le départ de plonger la famille Llewelyn Davies dans le tragique.
« En
1907, après une année marquée par une série d'opérations abominables
qui lui font perdre l'usage de la parole, Arthur meurt. Le pire était
encore à venir. Sylvia ne se remet jamais tout à fait de la mort de son
mari, et bien qu'elle continue à lutter pour ses enfants, elle tombe
malade à son tour et s'affaiblit au point de ne plus pouvoir quitter la
chambre. Barrie est accablé de voir anéantie cette famille modèle à ses
yeux. De plus en plus fréquemment séparé de sa femme, il divorce en 1909
(...) et se consacre presque exclusivement aux Llewelyn Davies frappés
par le malheur. »25
L'auteur
semble baigner dans le tragique depuis son plus jeune âge, où après le
décès de son frère, il dut se faire passer pour lui afin d'aider sa mère
à retrouver la raison que le choc lui avait fait perdre. Il semblerait
que Barrie ait été traumatisé par cette expérience, et qu'il soit resté
le petit garçon qu'il interprétait, immortel et éternellement jeune,
puisque déjà mort.
Mais
le tragique n'est pas représenté dans le film uniquement au travers
d'événements. L'incompréhension générale de l'entourage de l'auteur, qui
était bien réelle dans la vie de Barrie, est dans le film clairement
montrée, notamment après le dîner avec les Llewelyn Davies chez lui. Sa
femme, qui n'a pas réussi à établir les relations mondaines qui étaient
au départ le but de l'invitation, accuse son mari d'avoir fait échouer
cette entreprise.
« Marie – En tout cas c'est loin d'être le contact mondain qu'on voulait établir.
Barrie – Ce n'est pas ce que je cherchais...et j'ai apprécié leur compagnie.
[...]
Marie – Tu n'as pas l'intention de continuer à passer tes après-midi avec ces enfants quand même? »26
Même
l'écriture du petit écrivain en devenir qu'est Peter est marquée par le
tragique dès la première représentation qu'il donne de ses textes,
puisque c'est à ce moment précis que la santé de la mère décline à vue
d'oeil. La représentation est interrompue à cause d'une violente toux de
la mère, qui annonce son décès à venir. Le tragique et le sacrifice ne
repose donc pas exclusivement sur l'image de Barrie, mais plutôt sur
l'acte d'écriture général.
Si
la vie de Barrie, conjugale notamment, semble dans le film si tragique,
c'est parce que l'auteur ne paraît vivre que pour son écriture. En
effet, lorsque Barrie rentre chez lui et trouve sa femme en tête à tête
avec un autre homme, il refuse la conversation et s'en va, laissant sur
une table son carnet de notes. C'est ce carnet que sa femme va lire, et
ce n'est qu'ainsi qu'elle parviendra à connaître son mari.
«J'étais certaine que je trouverais ici une petite confession qui allait filtrer de ces pages.
Barrie – Je n'écris pas de lettres d'amour dans mon journal.
Marie
– Non. Mais tu as su de qui je parlais n'est ce pas? C'est une sorte de
consolation. Ca veut dire que je te connais un peu, après tout.
Barrie – Inutile de voler mon journal pour me connaître mieux Marie.
Marie
– Non. Je suppose qu'il m'aurait suffit de voir tes pièces. J'étais
désespérément naïve quand je t'ai épousé. J'imaginais que les êtres
brillants se réfugiaient dans un lieu secret où les bonnes idées
flottaient dans l'air comme les feuilles d'automne (Référence au vol du
pays imaginaire.)Et j'espérais qu'au moins un jour, tu voudrais m'y
emmener avec toi.
Barrie – Ce lieu n'existe pas.
Marie – Si, il existe. Le pays imaginaire.(...)Je souhaitais seulement en faire partie.
Barrie
– Je le voulais aussi, moi. J'ai essayé. Marie, j'ai toujours imaginé
que nous vivrions de grandes aventures une fois qu'on serait
ensemble.(...)
Marie
– Tu étais toujours ailleurs (...) Assis à ton bureau en train d'écrire
le regard perdu vers d'autres mondes comme si je n'avais pas existé. »1
Lorsque
Sylvia, malade, ne peut pas aller au théâtre, Barrie va lui rendre
visite. C'est là, à mots couverts, que Sylvia lui explique qu'elle
aurait voulu qu'il devienne le père des enfants. Le tragique ici est
très fort, puisqu'on devine déjà qu'elle va mourir sans que ce rêve ne
devienne jamais réalité:
« Sylvia – Vous nous avez montré que pour changer les choses il suffit de les croire différentes.
Barrie – Certaines choses Sylvia, mais pas toutes.
Sylvia
– Mais les choses importantes. Nous faisons semblant depuis quelques
temps que vous faites partie de cette famille n'est-ce pas? Vous avez
fini par tellement compter pour nous tous. Maintenant, peu importe si
c'est vrai. Et même si c'est pas vrai, même si ça ne le devient jamais,
j'ai besoin de continuer à faire semblant... jusqu'à la fin, avec
vous. »2
Sa
préférence pour Sylvia par rapport à sa femme est sous-entendu dans le
film grâce aux propos de Sylvia. Celle-ci, malade, dit à Barrie qu'il
avait promis de lui parler du pays imaginaire, chose qu'il n'avait
jamais promis à sa femme et pourtant dont elle semblait avoir toujours
eu envie.
Conclusion:
Le film Neverland n'est
pas complètement autobiographique, puisque tous les éléments dont ils
s'inspirent non pas eu lieu dans la vie de James M. Barrie. Cependant,
il retrace tous e même de nombreux événements réels. L'intérêt du film
est ludique. Il s'agit de repérer dans le film les éléments réels dont
s'inspire l'auteur pour créer sa pièce de théâtre Peter Pan.
Ces éléments ne sont pas clairement montré, ils sont sous-entendus.
C'est aussi un film sur l'écriture, la façon dont l'imaginaire peut
mener une vie, au oint de faire oublier la vie réelle. A Travers le
personnage de Peter, c'est la formation d'un jeune écrivain et le
processus de création qui est mis en exergue.
Mais
c'est aussi et surtout un superbe hommage à J.M. Barrie, l'homme qui
refusait de grandir. A la toute fin du film, Barrie nous est montré
discutant sur un banc avec Peter, dans le parc où ils se sont rencontrés
pour la première fois. Puis l'homme disparaît avec l'enfant, ne reste
sur le banc que ce qui faisait de lui un homme, c'est à dire son
parapluie et son chapeau. La fin du film sur les larmes du petit garçon
termine sur un ton tragique une vie de tragédie qui fut celle de
l'écrivain.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire
Seuls les élèves de Madame Polvêche sont autorisés à commenter en notant nom, prénom et classe en haut du commentaire. Tous les commentaires des élèves seront supprimés en fin de confinement. Aucun autre commentaire n'est possible.