Séance
11 : Pour aller plus loin : La ville en littérature :
Objectifs
: Découvrir des textes de
Zola – Étudier la ville en littérature
Supports :
Le
ventre de Paris, Emile Zola, 1873
L’Assommoir,
Emile Zola, 1877
Texte
n° 1: Le ventre
de Paris, Emile Zola, 1873
Et,
dans les grandes tournées, lorsque tous trois, Claude, Cadine et
Marjolin, rôdaient autour des Halles, ils apercevaient, par chaque
bout de rue, un coin du géant de fonte. C’étaient des échappées
brusques, des architectures imprévues, le même horizon s’offrant
sans cesse sous des aspects divers. Claude se retournait, surtout rue
Montmartre, après avoir passé l’église. Au loin, les Halles,
vues de biais, l’enthousiasmaient : une grande arcade, une porte
haute, béante, s’ouvrait ; puis les pavillons s’entassaient,
avec leurs deux étages de toits, leurs persiennes continues, leurs
stores immenses ; on eût dit des profils de maisons et de palais
superposés, une Babylone de métal, d’une légèreté hindoue,
traversée par des terrasses suspendues, des couloirs aériens, des
ponts volants jetés sur le vide. Ils revenaient toujours là, à
cette ville autour de laquelle ils flânaient, sans pouvoir la
quitter de plus de cent pas. Ils rentraient dans les après-midi
tièdes des Halles. En haut, les persiennes sont fermées, les stores
baissés. Sous les rues couvertes, l’air s’endort, d’un gris de
cendre coupé de barres jaunes par les taches de soleil qui tombent
des longs vitrails. Des murmures adoucis sortent des marchés ; les
pas des rares passants affairés sonnent sur les trottoirs ; tandis
que des porteurs, avec leur médaille, sont assis à la file sur les
rebords de pierre, aux coins des pavillons, ôtant leurs gros
souliers, soignant leurs pieds endoloris. C’est une paix de colosse
au repos, dans laquelle monte parfois un chant de coq, du fond de la
cave aux volailles. Souvent ils allaient alors voir charger les
paniers vides sur les camions, qui, chaque après-midi, viennent les
reprendre, pour les retourner aux expéditeurs. Les paniers étiquetés
de lettres et de chiffres noirs faisaient des montagnes, devant les
magasins de commission de la rue Berger. Pile par pile,
symétriquement, des hommes les rangeaient. Mais quand le tas, sur le
camion, atteignait la hauteur d’un premier étage, il fallait que
l’homme, resté en bas, balançant la pile de paniers, prît un
élan pour la jeter à son camarade, perché en haut, les bras en
avant. Claude, qui aimait la force et l’adresse, restait des heures
à suivre le vol de ces masses d’osier, riant lorsqu’un élan
trop vigoureux les enlevait, les lançait par-dessus le tas, au
milieu de la chaussée. Il adorait aussi le trottoir de la rue
Rambuteau et celui de la rue du Pont-Neuf, au coin du pavillon des
fruits, à l’endroit où se tiennent les marchandes au petit tas.
Les légumes en plein air le ravissaient,
sur les tables recouvertes de chiffons noirs mouillés. A quatre
heures, le soleil allumait tout ce coin de verdure. Il suivait les
allées, curieux des têtes colorées des marchandes ; les jeunes,
les cheveux retenus dans un filet, déjà brûlées par leur vie rude
; les vieilles, cassées, ratatinées, la face rouge, sous le foulard
jaune de leur marmotte. Cadine et Marjolin refusaient de le suivre,
en reconnaissant de loin la mère Chantemesse qui leur montrait le
poing, furieuse de les voir polissonner ensemble. Il les rejoignait
sur l’autre trottoir. Là, à travers la rue, il trouvait un
superbe sujet de tableau : les marchandes au petit tas sous leurs
grands parasols déteints, les rouges, les bleus, les violets,
attachés à des bâtons, bossuant le marché, mettant leurs rondeurs
vigoureuses dans l’incendie du couchant qui se mourait sur les
carottes et les navets. Une marchande, une vieille guenipe
(1)de
cent ans, abritait trois salades maigres sous une ombrelle de soie
rose, crevée et lamentable.
Emile
ZOLA,
Le
ventre de Paris, 1873
1-
Guenipe : femme de mauvaise vie
Questions
:
1 –
Quel lieu précis est décrit dans cet extrait ? Que savez-vous de
cet endroit ?
2 –
Relevez tous les termes qui décrivent le bâtiment évoqué. Quelles
impressions se dégagent de ce lieu ?
3 –
Que se passe-t-il dans ce bâtiment ? justifiez votre réponse par
des repérages précis du texte.
4 –
La fin du texte évoque « les marchandes aux petits tas »,
qu’est-ce que Zola suggère de leur condition de vie à travers la
description qu’il en fait ?
Grammaire
:
1 - «
C’est une paix de colosse au repos, dans laquelle monte parfois un
chant de coq, au fond de la cave aux volailles » Pourquoi
avons-nous l’utilisation du présent de l’indicatif dans cette
phrase ?
2
- « Cadine et Marjolin refusaient de le suivre, en
reconnaissant de loin la mère Chantemes se qui leur montrait le
poing, furieuse de les voir polissonner ensemble. Il les rejoignait
sur l’autre trottoir. Là, à travers la rue, il trouvait un
superbe sujet de tableau...» Retranscrivez ce passage en discours
direct.
Nature
et fonction de le (en gras dans l’extrait) :
Exercice
d’écriture :
Décrivez
un bâtiment dont l’architecture vous a surpris. Exprimez vos
impressions.
Texte
n°2 : L’Assommoir, Emile
Zola, 1877
Gervaise,
blanchisseuse dans le quartier de la Goutte d’Or à Paris, attend
au petit matin son amant Auguste Lantier qui, pour la première fois,
n’est pas rentré de la nuit. Elle le guette depuis sa fenêtre.
L’hôtel se
trouvait sur le boulevard de la Chapelle, à gauche de la barrière
Poissonnière. C’était une masure de deux étages, peinte en rouge
lie de vin jusqu’au second, avec des persiennes pourries par la
pluie. Au-dessus d’une lanterne aux vitres étoilées, on parvenait
à lire entre les deux fenêtres :
"Hôtel
Boncœur, tenu par Marsoullier"
en
grandes lettres jaunes, dont la moisissure du plâtre avait emporté
des morceaux.Gervaise, que la lanterne gênait, se haussait, son
mouchoir sur les lèvres. Elle regardait à droite, du côté du
boulevard de Rochechouart, où des groupes de bouchers, devant les
abattoirs, stationnaient en tabliers sanglants ; et le vent frais
apportait une puanteur par moments, une odeur fauve de bêtes
massacrées. Elle regardait à gauche, enfilant un long ruban
d’avenue, s’arrêtant presque en face d’elle, à la masse
blanche de l’hôpital de Lariboisière, alors en construction.
Lentement, d’un bout à l’autre de l’horizon, elle suivait le
mur de l’octroi(1), derrière lequel, la nuit, elle entendait
parfois des cris d’assassinés ; et elle fouillait les angles
écartés, les coins sombres, noirs d’humidité et d’ordure, avec
la peur d’y découvrir le corps de Lantier, le ventre troué de
coups de couteau. Quand elle levait les yeux, au-delà de cette
muraille grise et interminable qui entourait la ville d’une bande
de désert, elle apercevait une grande lueur, une poussière de
soleil, pleine déjà du grondement matinal de Paris. Mais c’était
toujours à la barrière Poissonnière qu’elle revenait, le
coutendu, s’étourdissant à voir couler, entre les deuxpavillons
trapus de l’octroi, le flot ininterrompu d’hommes, de bêtes, de
charrettes, qui descendait des hauteurs de Montmartre et de la
Chapelle. Il y avait là un piétinement de troupeau, une foule que
de brusques arrêts étalaient en mares sur la chaussée, un défilé
sans fin d’ouvriers allant au travail, leurs outils sur le dos,
leur pain sous le bras ; et la cohue s’engouffrait dans Paris où
elle se noyait, continuellement. Lorsque Gervaise, parmi tout ce
monde, croyait reconnaître Lantier, elle se penchait davantage, au
risque de tomber ; puis, elle appuyait plus fortement son mouchoir
sur la bouche,comme pour renfoncer sa douleur.
Zola,
L’Assommoir,1877
1
Octroi
: administration et bâtiment où se payait l
a
taxe d’entrée de certaines denréesT
Questions
:
1 –
Relevez les noms de lieux cités dans l’extrait. Dans quelle ville
se situe cette scène ? Pourquoi l’auteur est-il aussi précis ?
2 –
Quelles images du quartier se dégagent de cette description ?
Justifiez votre réponse en surlignant dans le texte.
3 –
Que pouvez-vous dire de Paris à travers les descriptions de ces deux
extraits ?
Réécriture
:
Réécrivez ce passage en remplaçant Gervaise par "vous" :
Gervaise,
que la lanterne gênait, se haussait, son mouchoir sur les lèvres.
Elle regardait à droite, du côté du boulevard de Rochechouart, où
des groupes de bouchers, devant les abattoirs, stationnaient en
tabliers sanglants ; et le vent frais apportait une puanteur par
moments, une odeur fauve de bêtes massacrées. Elle regardait à
gauche, enfilant un long ruban d’avenue, s’arrêtant presque en
face d’elle, à la masse blanche de l’hôpital de Lariboisière,
alors en construction.